Consommer sans consumer : dilemme ou nouveau modèle de société ?

Oct 03, 2023

MERCEDES-ERRA-Laurence Laborie PV3

Editorial de Mercedes Erra, fondatrice et présidente de l’agence de publicité BETC, qui accompagnera la session 2024 du programme Anticipations.

On me demande souvent « qui sont les consommateurs de demain ? ». Ma première réponse est que ça n’existe pas, les consommateurs. Ce qui existe, ce sont les gens. On est une personne avant d’être un consommateur et on n’endosse pas son costume de consommateur en laissant de côté les autres facettes de soi-même.  D’ailleurs les gens détestent, à raison, être réduits à leur potentiel de consommation. En chacun de nous co-existent une vision du monde, des opinions politiques, des problématiques de vie privée, professionnelle, relationnelle, de santé… qui s’entrecroisent. « Être au monde », c’est tout cela, un tissage dont la trame est complexe et dont la consommation n’est qu’un fil, emmêlé à d’autres.

Tenter de le tirer et donc de la comprendre n’est pourtant pas vain, car consommer est une activité fondamentale de l’être humain, de toute éternité, dès lors qu’il ne peut survivre sans boire et manger. L’être humain « consomme » depuis son arrivée sur terre, prélève sur les ressources de la planète, qu’elles soient renouvelables ou pas. Bien sûr la quantité et la nature de ces prélèvements a totalement changé au fil du temps. Éradiquer la consommation est illusoire mais la changer devient nécessaire.

D’ailleurs cela fait plusieurs années que nous la voyons changer. Dans l’ère consumériste, produits, marques et entreprises sont les pourvoyeurs de ce que les gens consomment : de plus en plus, ils cherchent l’entreprise derrière la marque. Ils regardent les entreprises comme les citoyens qu’ils sont, et les jugent. Ainsi voici quelques années que nous voyons monter les chiffres dans nos études Prosumers[1] sur des items comme : « dans le futur, j’achèterai des marques qui m’aident à devenir plus socialement responsable » – oui pour 84% des Prosumers®️ et  67% des consommateurs mainstream- ou bien « les marques et les entreprises ont le devoir de rendre désirable un futur plus frugal »- oui pour 82% des Prosumers®️ et 69% des consommateurs mainstream (étude Prosumers®️ Joyful Sobriety 2023).  
De même, les gens affichent clairement leur intention de « sanctionner » celles dont ils jugent le comportement moins éthique et moins responsable, sur les enjeux environnementaux et sociaux : 54% des Prosumers®️  et 41% des Mainstream déclarent  « boycotter les produits des entreprises qui n’agissent pas pour le climat ».
La façon dont l’entreprise traite ses collaborateurs est aussi devenue l’un des tout premiers critères de la confiance qu’on lui accorde – à 67% pour les Prosumers®️ et 62% pour les mainstream –  avant même sa capacité d’innovation -à 45% pour les Prosumers®️ et 32% pour les Mainstream.  

Cette nouvelle donne a changé la façon dont nous envisageons tout ce qui relevait autrefois du « corporate » : elle abolit les frontières entre produit/marque/entreprise d’une part et fait monter la thématique de la raison d’être au sein des entreprises d’autre part. En effet, s’interroger sur le sens de l’entreprise, le rôle qu’elle joue dans la vie des gens, sa vision de son métier, la façon dont elle entend le faire, et dont il peut contribuer au changement du monde ou à tout le moins apporter sa pierre à la transition, toutes ces questions sont devenues des sujets de préoccupation centraux des entreprises, parce qu’ils le sont pour les gens. Et c’est bien.

Le regard de ce que par convention je continuerai à appeler le consommateur, sur les marques, les entreprises, et le futur, me paraît plus intéressant que jamais, parce qu’il envisage naturellement le grand tout, englobe la planète, la société, l’individu. Aussi parce qu’il ne sera pas possible de s’en affranchir, de faire « sans » ou « à rebours ». La reprogrammation passe par la prise en compte de ses attentes.

Or elles sont assez paradoxales, ce qui rend la réflexion passionnante . Autant les gens sont prêts à consommer mieux, différemment, et même dans certains cas, moins, autant ils ne veulent pas d’un monde sans rêves, sans désir, où leur potentiel d’épanouissement serait restreint. Lorsqu’une nouvelle génération arrive au monde, elle a besoin de positivité, de pouvoir se dire que l’aventure n’est pas finie avant d’avoir commencé.

Là où il y a contradiction, tension, il y a matière, me semble-t-il, à nourrir une réflexion profonde et utile pour le futur. Rendez-vous dans cette belle saison 2024 d’Anticipations.

Mercedes Erra.
Présidente et fondatrice de BETC Groupe


[1] Les études Prosumers®️ sont des études menées par BETC sur une trentaine de pays et qui permettent d’identifier, via un algorithme propriétaire, les opinions et comportements des publics les plus avancés, qui seront prédictifs des tendances appelées à se généraliser à court terme (3 à 18 mois) sur l’ensemble des consommateurs (mainstream)